Conte à lire aux petits enfants quand ils seront grands

Publié le par Kandide Katrin Phocigne, dit Patrick Hard


 








Le petit Robert, comme les enfants de son âge, possédait une liberté d'esprit que bien de ses ascendants auraient pu lui envier.

Ouvert à toute nouveauté, curieux de tout, lassé de rien, une soif d'apprendre et de comprendre lui taraudait les entrailles.

 

Vint un temps où, saisi d'un frénétique ennui et dans le but de meubler ses temps morts, il passa une petite annonce dans le journal local :

"Voulant correspondre avec le monde entier (et non pas "avec mon dentier", comme cela fût déformé par la suite dans la légende), toutes cartes seraient bienvenues. Prière de les envoyer à...."

Je vous passe l'adresse sous silence, jugeant inutile de remplir du papier fortuitement, à des fins mercantiles, ce qui risquerait d'importuner le lecteur qui, d'ailleurs, se moque totalement de l'adresse du petit Robert, entendu que...... (certains auteurs aiment tellement broder ! ...).

Bref, la quête porta ses fruits.

Jugez-en plutôt :

Le petit Robert reçut un as de pique, don d'un hallebardier altruiste. Puis ce fut une dame et un roi de cœur, envoi d'un couple d'amants. Ensuite vinrent les carreaux, généreusement fournis par les joueurs de pétanque de "La Petite Boule et Bille".

Quelques ruminants, après avoir longuement mâché leur choix, firent parvenir de la verte Erin le dix de trèfle.

Casanova, fort cavalier, lui confia Dieu sait quoi.

Un père de famille nombreuse lui fit cadeau du petit dernier.

Un médecin généraliste, se faisant de la pub à moindre frais, lui adressa sa carte de visite, notifiée de sa spécialité :

M. Derien, diplômé contre la toux.

Certains s'excusèrent de ne pouvoir rien apporter, d'autres, mesquinement, firent les morts ; d'aucuns postèrent des atlas.

Le petit Robert, croulant bientôt sous un monceau d'envois de toute nature, jugea opportun de cesser l'opération.

 

 

De nature inventive, il se mit alors à trier ses trésors, les classer, écarter les doubles, jeter les inutiles, garder les plus jolis, les plus représentatifs.

D'esprit ludique, comme on sait l'être à cet âge tendre, assailli de mystérieuses pulsions prémonitoires, Robert créa alors le jeu de belote, le tarot, le bridge, le menteur, les sept familles, le mille bornes, le bonneteau et d'autres encore dont le nom s'est perdu dans les méandres embués de mes neurones amnésiques.

 

Ces occupations terminées, le petit Robert recommença de s'ennuyer.

Aussi repassa-t-il par le canal des petites annonces :

"Adolescent, bien sous tous rapports (sauf sexuels, car trop jeune) aimerait recevoir lettres tous pays (et non "poux te'ibles", comme il fût colporté, bien plus tard, par certains autochtones Af'icains), tout envoi accepté".

Aussitôt, ce fut la ruée : une avalanche de courrier commença d'envahir la chambrette de l'enfant : un oto-Rhino-Céros-laryngolo-golo-giste lui donna le A, une cure l'AB, une corporation besogneuse l'ABC, un cabinet d'avocats l'OQP, un travailleur intérimaire l'FMR, Monsieur Parmentier l'HI, la SNCF le PV.

Un mouton apporta le B, une couturière le D, une poule de luxe lui fournit un E sur le plat, un égocentrique le G (donné aussi par Jean Lumière).

Pablo Escobar le H, un éléphant abhorrant les souris l'I, Gainsbourg le K, un moineau l'L, un couple d'amoureux au départ de leurs tendres effusions fournirent le M, puis, après leur mariage l'N.

Les océans, les torrents, les ruisseaux, d'un commun accord firent parvenir l'O, un amateur de cassoulet, pris de flatulences, le P.

Quand le Q arriva, remis en main propre par le préposé à lunettes, Robert, dubitatif, se gratta la tête : "voici une lettre qui me semble inutile. Mettons là quand même de côté : j'arriverai peut-être à lui faire faire quelque chose, en cas de besoin".

Suivirent l'R, cadeau d'Arlette qui le pêcha dans l'atmosphère, l'S, dont un boucher complaisant se sépara, le T du géomètre et des Chinois, l'U du charretier, l'UV du soleil, le V du midi, le W d'un languedocien bègue, l'X d'un ancien détenu de centrale, l'Y d'Homère et enfin, pour conclure, le Z de Costa Gavras (en fait ce dernier se retrouva en double exemplaire, car aussi cédé par un certain Walt Disney, un drôle de Zozo à mon avis).

Quand il n'eût plus de place pour se coucher, Robert fit savoir par voie de presse qu'il avait atteint son "quota", fier de lui car il avait enfin trouvé une utilité au Q.

 

De toutes ces lettres dispersées, en vrac, il fit des tas, les coupa, les sépara, les assembla, les accola, les Coca-Cola, les mit en pièces, en vers et contre tout ; comme un boxeur groggy, en sonnets, en sansonnets, en roupies, en chansonnettes, en chansons nettes.

Puis il recopia tout cela au propre et, de toute cette correspondance sortit le premier dictionnaire qui, d'ailleurs, porte son nom à la page HLM du grand Larousse.

Entre parenthèses, au sujet du grand Larousse, il court aussi une autre histoire, que je vous conterai plus tard, quand je l'aurai rattrapée.

 

                                   F .I .N .

 

Publié dans Conte

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